Au clocher était logée la cloche (ou les cloches) objet de toute l'attention des villageois ; elle était en effet la vie et l'âme du village, car elle affirmait l'identité de la communauté. Elle annonçait le commencement et la fin des travaux du jour, convoquait aux assemblées, carillonnait aux baptêmes, mariages et enterrements ainsi que lors des fêtes, parfois lorsque survenait un danger (incendie, épidémie...), elle sonnait le tocsin ; elle structurait de manière indispensable le temps, rythmait la vie quotidienne de la communauté villageoise.
Le berger et le laboureur éloignés dans les champs trouvaient une sorte de sécurité et de repère indispensable en entendant les sonneries portées jusqu'à eux par les vents.
Refondre la cloche
La cloche était très souvent l'occasion de grosses dépenses pour la communauté. Trop petite, on ne l'entendait pas suffisamment au loin, dans les hameaux et écarts de la paroisse, en ce cas, il en fallait une plus grosse.
En 1772, la paroisse de Saint-Hymetière (Jura) prévoit une somme de 600 livres pour la refonte de la cloche, En 1782 , une nouvelle refonte s'impose, cette fois il en coûte 837 livres. S'il lui arrivait de se fêler, il fallait la refondre. Parfois, elle était victime de l'incendie qui endommageait le clocher, voire de la foudre. La communauté en faisait les frais, mais il existait également de généreux donateurs qui pourvoyaient à la dépense.
Rétablir la cloche au clocher, c'était précisément réinstaller la vie normale au village. Sans cloche, un silence pesant désorientait les populations. En Franche-Comté, pour cette opération très importante, les villageois faisaient appel à des entrepreneurs du Bassigny. Ainsi, à Montaigu, près de Lons-le-Saunier, en 1788, il fallait refondre à nouveau la cloche « refondue deux fois en douze ou quinze ans ». Elle est refaite par un artisan originaire du diocèse de Langres.
Au village, la refonte créait un événement spectaculaire. Le fondeur travaillait sur place. Il fallait lui fournir du bois pour l'immense four ce qui nécessitait quelques voiturées. Le curé surveillait de près les opérations. Surtout, il procédait solennellement et en grande pompe au baptême de la cloche richement décorée pour la circonstance.
Le marché de sonneur de cloches
Le sonneur, « le tireur de corde », était un personnage important. Il rythmait la vie de la paroisse par ses sonneries. Il était souvent proche du curé, un peu son auxiliaire, il était d'ailleurs souvent en même temps sacristain. De plus, il passait un contrat avec les responsables de la communauté villageoise : les échevins.
Ainsi, le 2 3 janvier 1744, les « eschevins » du village de Liesle (Doubs) passent-ils contrat avec Hugues Vuillemot et Claude fils de Charles Vuillemot. Ils s'engagent à « sonner les cloches tant de jour que de nuit, sonner l'angélus, les mâtines et les soirs et le midy ». Ils doivent « sonner les grands messes et vespres tous les dimanches, fêtes, offices et enterrements, le tout au contentement de la paroisse » Le marché est fait pour la somme proposée et acceptée par les preneurs de « de vingt six livres en monnoye du royaume, payables demi à la saint Jean Baptiste prochain et à la fin du contrat ». Quelques années plus tard, un autre contrat dans la même paroisse est signé en 1749 avec les mêmes obligations, les « retenants » doivent sonner « comme il est d'usage », mais ils doivent en plus « fournir toutes les cordes pour les cloches et qu'il y en ait toujours deux qui viennent jusqu'en bas, ils les rendront à la fin de leur année en bon état ». Le marché est passé pour la somme de 178 livres payables en quatre fois. Il est vrai que le marché du luminaire est jointe cette fois au marché des cloches. Les « marguilliers » devait prévoir l'entretien de la corde.
Le pouvoir des cloches
Contre l’orage, au village, on croyait surtout au pouvoir des cloches, qui étaient mises en mouvement quand les nuées noires approchaient de manière menaçante. Les sonneries, croyait-on, avaient le pouvoir de briser les lourdes et noires nuées.
D’une manière générale, on attribuait aux cloches le pouvoir d’écarter tous les dangers qui menaçaient la communauté villageoise. Les cloches au moment de leur installation étaient bénies ; elles revêtaient un caractère sacré qui émanait de la puissance divine. De ce fait, elles disposaient du pouvoir de chasser les démons qui suscitaient la grêle et l’orage ; de plus, elles avaient la capacité de refouler toutes les puissances infernales et maléfiques.
Toutefois, en 1784, le Parlement de Besançon interdit de faire sonner les cloches pendant les orages, devançant l'interdiction qui sera faite à l'échelle du royaume en 1787. Mesures prises, en raison des accidents survenus, accidents de sonneurs brutalement foudroyés s’étaient en effet multipliés.
Les cloches objet de conflits
Les paysans ou vignerons entendaient être libres de sonner les cloches pour conjurer le mauvais temps. Ce que les autorités, curés ou maires contestaient. Le curé souhaitait en particulier limiter l'usage des cloches à la seule fin religieuse.
A Saizenay près de Salins en 1536, existait une cloche « pour sonner contre le mauvais temps, foudres et tempestes ». Les habitants entrent en émoi, parce que l'autorité locale a interdit la sonnerie. Ils considèrent que « les clouches estoient à eulx et non au maire ». A cause de l’interdiction, plusieurs centaines de villageois se rassemblent, les uns disent « que faulte d’avoir sonné les années passées les vignes avoient été gelées et perdues ». Celui qui empêchait de sonner devenait le responsable de la catastrophe. Un type de conflit qui s’est souvent renouvelé.
En effet, à l’approche de l’orage, les sonneurs se précipitaient au clocher pour mettre en mouvement les cloches. En tout cas, jusqu’au jour où on en vint à croire que cela attirait la foudre sur le clocher en provoquant de nombreux accidents.
Lutte contre la grêle à Crançot (Jura)
Voici ce qu’on racontait vers 1818 dans cette paroisse. Un paroissien vint prévenir le curé à voix basse pendant qu’il officiait qu’un horrible orage allait éclater. Alors, ce dernier sortit de l’église, observa les nuages noirs qui s’amoncelaient, d’une voix courroucée, il les interpella : « Qu’est-ce donc que ce-ci ? On aura affaire à moi ! ». Et ce disant, il détacha une de ses chaussures et la lança vers le ciel... La chaussure ne retomba point, mais l’orage fut apaisée et il n’y eut point de grêle.
Contre la grêle, la population jugeait de l’efficacité de son curé. En effet, de l’homme de Dieu, elle attendait les exercices religieux appropriés pour conjurer et éloigner l’orage.
En 1727, à Dammartin-en-Comté (Doubs), le curé ayant perdu la vue, faisait assurer la desserte de la paroisse par un vicaire qui ne semblait pas plaire aux paroissiens. Ainsi, la légèreté et l’inexactitude du vicaire furent dénoncées par eux comme étant responsables de la grave catastrophe qui s’était brutalement abattue sur eux. Les villageois adressent leurs plaintes aux autorités ecclésiastiques et déclarent : « Le vingt neuf du moy de may dernier une nuée affreuse ayant parust sur la paroisse les scabins (échevins) allèrent pour chercher ledit sieur Houteu (vicaire) affin de faire les prières et conjurations ordinaires sans qu’ils ayent pu le rencontrer et ils virent avec douleur tomber sur leur territoire une grelle si abondante qu’elle a perdu presque entièrement leurs bleds et leurs chaumes ».
Il existait d'autres motifs de conflit. Le curé décidait parfois de lui-même de savoir s'il fallait sonner les cloches pour une personne décédée ; s'il jugeait que la personne ne le méritait pas, la famille était condamnée à un enterrement muet, ce qui créait un affront insupportable. C'est le cas par exemple à Récanoz-Lombard (Jura), en 1840, malgré la défense du curé, l'adjoint fait sonner trois coups. La famille pour obtenir cette sonnerie avait dû faire intervenir les notables du lieu. A Giromagny (Territoire de Belfort), le curé refuse de sonner les cloches pour le décès d'une protestante, alors « des hommes » rapporte le curé scandalisé « se sont emparés des cloches immédiatement après l'angélus » et malgré les observations du sacristain, ils ont sonné.
L'usage des cloches, au sein du village, est donc sources de divers conflits entre les habitants et le curé, mais aussi au XIXe siècle entre le maire et l'homme du presbytère notamment. Qui avait le droit de décider des sonneries, telle était la grave question posée.
Aujourd'hui, il n'est plus besoin de se repère sonore autrefois si précieux, nous possédons bien d'autres signes qui à longueur de journée remplissent la même fonction, ne serait-ce que la montre bracelet. Les cloches se sont tues ou tintent désormais rarement. Cette disparition progressive du repère sonore a suscité une certaine nostalgie, inspirant notamment à la fin du XIXe siècle les poètes et les musiciens.
La cloche de Battrans (commune proche de Gray) par exemple a donné lieu à un dicton :
« C'est comme la cloche de Battrans
« Qui ne la voit pas l'entend »
Comme beaucoup de clochers, celui-ci était caché par les monts et les forêts, mais le son volait au loin par dessus les hauteurs et les arbres. La formule peut être interprétée malicieusement comme faisant allusion aux femmes qui sans se montrer se font toujours entendre !
Parmi d'autres, il est possible de citer deux exemples qui témoignent du fait que la cloche est devenue au XIXe siècle un thème poétique :
La Cloche du soir d'Auguste Lacaussade (1815-1897)
« Quand la cloche du soir, dans l’air mélancolique,
Vibre et rappelle au loin, vers le chaume rustique,
Le pâtre et ses troupeaux dans les champs dispersés... »
Et aussi La cloche fêlée de Charles Beaudelaire
« ...Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente! ... »