Si le feu, est d'abord la chaleur du foyer qui rassemble, l'élément bienfaisant qui permet la cuisson des aliments, la joie et la liesse des grands bûchers de la Saint-Jean, il est aussi et peut-être surtout la peur et la menace qui tenaille les âmes au plus profond de la psychologie collective. Le feu appartient aux grands fléaux « calamiteux » si redoutés par les sociétés anciennes. Dans l’imaginaire collectif, l’incendie avec sa brutalité faisait partie des grandes peurs qui tenaillaient les esprits. L’étude du feu et des craintes qu’il engendre entraîne au cœur de l’histoire des grandes peurs millénaires. Les flammes ne le cèdent en rien en termes d’angoisse aux épidémies endémiques qui frappaient brutalement les hommes et les troupeaux, les violents accidents météorologiques comme la grêle, la sécheresse ou le gel qui soudain compromettaient les récoltes. Peur qui vient du fond des âges. Le fléau dévastateur, face auquel les hommes restèrent impuissants pendant longtemps, spectateurs désespérés tout à la fois impuissants et fascinés devant les flammes qui montent, apporte le malheur en un instant.
Aujourd’hui, on parle beaucoup d’insécurité urbaine, mais il faut se souvenir que l’ancienne société rurale vivait dans l’insécurité permanente ; elle redoutait tout particulièrement avec un certain fatalisme les accidents météorologiques qui pouvaient compromettre les récoltes, donc les subsistances à venir. Gels extrêmes, grands froids, pluies orageuses ou longues périodes humides, sécheresses prolongées… autant d’accidents qui au cours des siècles ont marqué l’histoire de notre région. Sans oublier les dégâts causés par d’autres graves calamités, causés par les insectes ou les rongeurs destructeurs. Ces accidents affectaient soit l’ensemble de la région, soit au contraire de manière plus restreinte seulement quelques cantons ou communes.
En dehors de ces périodes de grandes catastrophes, la paysannerie comtoise nourrissait quotidiennement un immense besoin de sécurité. Pour les historiens, il est intéressant de savoir le temps « qu’il a fait » pour connaître le cadre imposé à la vie des gens, en revanche pour les paysans d’autrefois, il s’agissait de savoir tant bien que mal « le temps qu’il fera ».
Les Rogations étaient une première forme d’assurance pour les récoltes. A l’origine, il s’agit d’une invocation liturgique qui se plaçait le plus souvent le matin, dans les jours qui précédaient la fête de l’Ascension, cela trois jours de suite, à l’aube, avant le lever du soleil. Le curé, derrière les enfants de chœur qui portaient la croix, marchait en tête d’une procession formée des fidèles. Le cortège se rendait à la sortie du village en bordure des prés et des champs. Et là, par la prière, on implorait le ciel, on lui demandait de faire croître en abondance les futures récoltes. La formule liturgique disait en latin : « Afin que tu daignes nous donner et nous conserver les fruits de la terre, nous te le demandons, écoute-nous… » C’est que l’on craignait fortement, et au plus haut point, au moment où tout levait, les pluies orageuses ainsi que les gels tardifs… qui risquaient de compromettre les récoltes à venir.
A peu près dans le même temps des Rogations, le premier dimanche de mai, avait lieu la bénédiction des croix dans les champs. Selon les paroisses, ces croix étaient de tailles diverses, grandes ou petites.
Dans le bas pays, elles étaient placées dans les champs de blé, en montagne dans les champs d’orge ou de pommes de terre. La tige était fendue au couteau, et dans la fente on introduisait la petite traverse. « On employait plus spécialement pour la confection de ces croix les rejetons ou jeunes pousses de l’année précédente, lisses et droites coupés à une hauteur moyenne d’un mètre et fendus à quinze centimètres environ du sommet sans trop faire éclater le bois pour que le petit croisillon inséré dans la fente tint solidement pour former les bras de la croix… » (Guillemaut (Lucien), Les mois de l’année, usages, mœurs, fêtes, traditions populaires, Louhans, 1907)
La fragilité économique était un autre aspect de l'insécurité dramatique. Une grande partie de la paysannerie comtoise endettée avait un besoin urgent de crédit. Elle empruntait à long terme avec « la rente constituée » ou à court terme avec l'obligation. Où trouver à emprunter ? Grave question, notamment pour les plus démunis. A la campagne, il fallait payer les impôts royaux, les droits seigneuriaux, les baux de location, les honoraires du curé..., lorsque les récoltes avaient été mauvaises et que les bourses étaient vides, s'acquitter, c'était emprunter. Et puis, voulait-on en pariant sur l'avenir s'installer, s'équiper, acheter quelques terres ou quelques bêtes ? Ou marier la fille ? Il était alors nécessaire de trouver des créanciers proches.