Il faut relire Hugo, on peut être parfois agacé parce qu’il en fait trop, accumule les mots en cataractes, multiplie les antithèses ombre et lumière, azur et le noir, les gouffres et les cîmes, le visible et l’invisible, etc…, mais quelle fulgurance soudaine dans la formulation de grandes pensées, quelles trouvailles dans l’expression. Derrière les oripeaux du romantisme, il y a une profondeur et une richesse incomparable de la pensée.
Plusieurs manières d’entrer dans le monument, l’amour, la politique, les combats de Hugo, l’océan, la misère… autant de fenêtre sur l’œuvre et l’homme, sans oublier les dessins et l’œuvre graphique.
Personnellement, j’ai relu Hugo dans le cadre de la célébration du bicentenaire (2002), mais je l’ai relu avec un œil particulier, celui de l’historien du livre et de la lecture ; j’ai essayé de suivre à la trace les rapports que Hugo entretenait avec le livre et la lecture. Est-ce rétrécir l’œuvre et le monument ? je ne le crois pas, au contraire.
Très jeune, ma grand-mère institutrice m'avait initié à une anthologie hugolienne. J'avais un souvenir ému de l'enfance de certains poèmes classiques à pleurer, mais aussi très scolaire du poète. En le relisant dans son immense richesse et diversité, j'ai découvert dans ces œuvres une pensée émouvante, humaniste, généreuse, située sur les hauteurs, mais sachant aussi s'attacher avec délicatesse aux humbles choses de la vie.
On le sait Hugo magnifie et glorifie le livre. Le livre instrument de progrès ; le livre doit remplacer l’épée ; le livre c’est la lumière du savoir opposé à l’ombre de l’ignorance pour reprendre le style antithétique hugolien si caractéristique ; autant de thèmes récurrents !
Voici ce qu’il écrit dans un discours pour un Congrès littéraire en juin 1878 :
« … Ah la lumière ! la lumière toujours ! la lumière partout ! le besoin de tout c’est la lumière. La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout ; enseignez, montrez, démontrez ; multipliez les écoles ; les écoles sont les points lumineux de la civilisation… »
Il convient tout d’abord de replacer brièvement ce que dit Hugo sur ces questions, de manière diffuse ou explicite, dans le contexte du temps.
L’œuvre du poète s’inscrit en gros dans les dates de 1830-1885. Or c’est précisément l’époque où le livre et plus largement l’imprimé connaît une nouvelle et grande mutation : c’est l’époque de l’industrialisation du livre. Hugo meurt au moment où la grande presse est en train de prendre son plein essor. Bref ! ce temps est celui du triomphe du livre, un temps également où la société française est en passe d’être alphabétisée en profondeur. Et Hugo a été cette grande voix qui réclamait l’instruction pour le peuple. La réflexion de Hugo s’inscrit dans cette période.